Les proverbes cambodgiens, marqueurs de la culture locale
Dicton, aphorisme, sentence et autre maxime peuvent être regroupés sous le terme générique de proverbe. Ces différents concepts ont des frontières bien ténues et n’hésitent parfois pas à se contredire allégrement ! Formule langagière figée, vérité d’expérience, expression de sagesse pratique et populaire, le proverbe peut être empreint d’une composante morale ou, en tout cas, de quelque chose que l’on juge utile de partager, rappeler, garder en mémoire.
Si leur emploi et leur registre sont variés, les proverbes participent du référentiel commun de chaque culture, d’autant qu’ils sont généralement patinés par une dimension régionale. Aucune raison que les proverbes cambodgiens n’échappent à cette fonction. Puisqu’ils structurent l’inconscient collectif, ils nous fournissent un aperçu intéressant de ce qui est important dans la culture khmère et de son mode de pensée.
Les valeurs fondamentales du Cambodge au coeur de ses proverbes
Nombreux notamment sont les proverbes faisant référence à la famille, nous indiquant ainsi à quel point la valeur qu’elle constitue demeure un pilier de la culture et la vie cambodgiennes. En voici quelques exemples :
- Un enfant sans père est semblable à une maison sans toiture
- L’herminette [hachette à tranchant recourbé] est bonne grâce à son manche ; l’enfant est bon grâce
à ses parents - Mieux vaut perdre son père que sa mère ; mieux vaut la barque naufragée dans le fleuve que la
maison brûlée
Idem pour une notion centrale au Cambodge qui consiste à « ne pas perdre la face » et la question de l’honneur :
- Lorsque la soupe est fade, tu dis que tu y as ajouté une poignée de sel. Mais si elle est salée, tu dis que tu y as mis une pincée de sel
- Plutôt perdre sa bourse que trahir sa parole
- La distinction tient de la famille, la conduite est personnelle
L’humilité :
- Quand un tigre s’accroupit, ne dis pas qu’il te salue
- Si tu es riche, rappelle-toi que sans tes vêtements tu serais nu
- Dressé, le riz ne porte pas de grain ; courbé, le riz est bon à récolter = humble et respectueux -courbé- tu réussiras, hautain –dressé-, non.
Le courage :
- Brave, peau tailladée ; lâche, peau indemne
- Sois humble et les gens te méprisent ; sois impudent et tu fais la pluie et le beau temps
- Le timide succombe ; l’impudent a le succès et atteint un grand âge
On retrouve également des proverbes proches voire quasi identiques à ceux que nous connaissons en français :
- La feuille ne tombe jamais bien loin du tronc
- Quand le chat n’est pas là, le rat monte sur le trône
- Il n’y a pas de fumée sans feu
Quelques exemples d’interprétations de proverbes cambodgiens
Anne-Yvonne Guillou et Isabelle Fournier-Nicole, anthropologue chercheure au CNRS pour la première et médecin pour Médecins Sans Frontières pour la seconde, sont les co-auteures d’un carnet de voyage (1) et proposent un recueil de proverbes cambodgiens ainsi que quelques éléments pour leur compréhension, bien que cette dernière soit très subjective.
Plutôt que paraphraser les auteures, je choisis de les citer : « Les proverbes [cambodgiens] jouent avec les images, les détournent […] tout comme la culture dont ils sont issus, [ils] sont riches, subtils et polysémiques. En un mot, ils sont vivants, autorisant les interprétations contrastées, les substitutions de mots, suscitant les images les plus diverses chez les cambodgiens eux-mêmes ». Voici un florilège des proverbes décryptés par Mesdames Guillou et Fournier-Nicole :
- Au Foyer, chacun sa mère ; mais dans la forêt, on se sent frères de sang = quand nous sommes dans notre famille, ou un environnement familier, les différences individuelles sautent aux yeux. Dans un endroit inconnu et menaçant, ce sont les ressemblances. Dans l’adversité, on se rapproche, les querelles s’estompent. Proverbe issu d’un chbap (poème éducatif).
- Aux femmes l’esprit résolu et déterminé = nous rappelle que la société khmère est matriarcale, que les femmes sont aux rennes du foyer, aux cordons de la bourse.
- Le vieillard se réfugie dans sa mort prochaine ; le jeune dans sa fougue et l’enfant dans ses larmes = chacun selon son étape de vie, réagit à sa façon face à l’épreuve.
- Tu auras accumulé cent jonques de bonnes œuvres, mais qu’une seule mauvaise intervienne et toutes s’évanouissent = pensée nettement bouddhiste. Les actes bons ou mauvais produisent des conséquences. L’être humain recueille, à un moment ou à un autre, ces fruits du karma. La pratique religieuse populaire consiste donc à accumuler les bonnes œuvres pour s’assurer des vies futures agréables.
- Riches : ne vous réjouissez pas encore ; pauvres : consolez-vous : la richesse ne dépasse jamais trois générations et la pauvreté trois existences = l’impermanence des choses propre au bouddhisme, la roue tourne, tout est cyclique, karmique. Il faut compter sur ses actions personnelles plutôt que se lamenter sur sa condition. Dans la réincarnation, le nouveau statut social dépend des actions accumulées pendant les vies antérieures.
- Humer le bouillon en lorgnant les bons morceaux = illustre la duperie, celui qui fait semblant d’être désintéressé mais qui en réalité souhaite obtenir quelque chose de nous. L’image est explicite car les cambodgiens prennent le repas en rond, sur une natte, autour des plats. Ils puisent tour à tour la soupe selon un code de bienséance interdisant de se précipiter sur le meilleur morceau.
- Si tu es méchant, sois-le assez pour qu’on te craigne ; si tu es idiot, sois-le assez pour qu’on te plaigne = plutôt clair, non ?
- Et enfin, mon favori « Pas de courge sans pépin, ni d’être humain sans cœur » qui ne nécessite pas d’explication et que je gardais sous le coude histoire de finir sur une note optimiste et humaniste !
Et vous ? Lequel a votre préférence ?
(1) Bibliographie :
- La barque passe, le quai demeure, Promenades et proverbes cambodgiens, 2009, Anne-Yvonne Guillou et Isabelle Fournier-Nicole
- Les sentences et proverbes cambodgiens, 1915, autre source Net